- ALLEMAGNE - L’unité allemande , 1990
- ALLEMAGNE - L’unité allemande , 1990Pour la seconde fois en cent vingt ans, l’Allemagne retrouve son unité, en 1990. C’est la Prusse qui a unifié le pays après les guerres contre le Danemark, l’Autriche et la France. L’unité n’a été proclamée ni à Berlin ni même sur le territoire allemand, mais dans la galerie des Glaces du château de Versailles, le 18 janvier 1871, pendant que les troupes prussiennes poursuivaient le siège de Paris. Le peintre Anton von Werner a immortalisé la scène dans un de ses tableaux. On y voit le roi de Prusse Guillaume Ier, le nouvel empereur, et Otto von Bismarck qui, à sa charge de ministre-président de Prusse, va ajoutercelle de chancelier de l’Empire. Ils sont entourés de princes, de militaires, de diplomates, raides, bottés et sanglés dans leur uniforme de parade; les sabres tirés au clair soulignent le caractère martial de la scène. Pas une femme n’est présente, et le peuple est absent.Quel contraste avec les photos prises dans la nuit du 2 au 3 octobre 1990, sur le balcon du Reichstag à Berlin. Elles montrent les principaux responsables de la vie politique, hommes et femmes, de l’Allemagne unie, souriants et détendus, saluant la foule qui assiste à la seconde naissance de l’unité allemande. Pas un des invités ne porte l’uniforme. Ces deux scènes résument de façon saisissante les transformations qui se sont produites. En 1871, l’unité est proclamée au nom d’un État fort, autoritaire, conservateur, guerrier et désireux d’imposer son hégémonie à l’Europe. L’unité de 1990 intervient au terme d’un processus démocratique, en accord avec les partenaires, voisins et alliés d’une Allemagne bien intégrée dans les structures complexes de la coopération européenne et internationale. L’Allemagne née en 1990 est bien différente de celle de 1871 qui a traumatisé de nombreux esprits.Unité et divisionL’Allemagne unie de 1990 est beaucoup plus petite que celle de 1871, déjà amputée de 11 p. 100 de son territoire après le traité de Versailles, en 1919. L’Allemagne «dans les frontières de 1937», à laquelle se réfèrent les quatre vainqueurs du IIIe Reich hitlérien à partir de 1945, correspond au territoire amputé de 1919, auquel s’ajoute la Sarre, rattachée au Reich après un plébiscite; les annexions de 1938 (Autriche et Sudètes) et les conquêtes territoriales à partir de 1939 n’en font pas partie. En renonçant définitivement aux anciens territoires allemands à l’est de la ligne Oder-Neisse (remis en 1945 de son propre chef par l’U.R.S.S. à la Pologne) et à la Prusse-Orientale (capitale Königsberg, devenue Kaliningrad), partagée entre l’U.R.S.S. et la Pologne, l’Allemagne unie perd près d’un quart de son territoire par rapport à 1937.Après 1945, les quatre Grands essaient de gérer en commun ce qui reste de l’Allemagne entre le Rhin et l’Oder-Neisse. Cette partie de l’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation; l’ancienne capitale, Berlin, étant à son tour partagée en quatre secteurs soumis à un statut spécial. Les désaccords sur la politique d’occupation en Allemagne et, de façon plus générale, sur les grands problèmes internationaux se traduisent, à partir de 1947, par la guerre froide qui va diviser Berlin et l’Allemagne entre l’Est et l’Ouest. Deux États antagonistes sont fondés en 1949, la république fédérale d’Allemagne, à partir des trois zones occidentales, et la République démocratique allemande, sur le territoire de la zone soviétique. Cette division paraît définitive en 1955, lorsque chacun des deux États est complètement intégré sur les plans économique, militaire et idéologique dans le camp qui lui a donné naissance.La réunification est rendue impossible par les exigences de chaque camp. Les Occidentaux ne veulent pas de l’Allemagne neutralisée que propose l’U.R.S.S. Cette dernière rejette l’idée d’élections libres avancée par les Occidentaux dans l’ensemble de l’Allemagne. Un timide dialogue s’engage à partir du début des années 1970 entre l’Est et l’Ouest et entreles deux Allemagnes. La réunification semblait d’autant plus impossible et lointaine que personne ne s’attendait à un effondrement aussi rapide du communisme en Europe de l’Est; bastion avancé du camp socialiste en Europe, la R.D.A. était considérée comme un État solide, étroitement dépendant de Moscou et auquel l’U.R.S.S. n’accepterait jamais de renoncer.L’effondrement de la R.D.A.Ne pouvant incarner l’ensemble de la nation allemande et ne disposant d’aucune légitimité démocratique, la R.D.A. était un État artificiel, créé par l’U.R.S.S. au nom d’une idéologie totalitaire, avec le concours des communistes allemands. Cet État était rejeté par une bonne partie de la population, comme en témoignent la révolte des ouvriers, le 17 juin 1953, et les millions de réfugiés est-allemands passés en Allemagne de l’Ouest. Pour retenir ses ressortissants, la R.D.A. entreprit, le 13 août 1961, la construction du Mur de Berlin, après avoir installé un rideau de fer, sans cesse perfectionné, le long de la frontière interallemande. Sans les tanks soviétiques en 1953 et le Mur de Berlin en 1961, la R.D.A. se serait sans doute effondrée rapidement. Il est cependant difficile de savoir dans quelles conditions la question allemande aurait été réglée, les Occidentaux souhaitant, de leur côté, une Allemagne démocratique et libérale, intégrée au camp occidental.Après 1961, la population dut s’accommoder d’un régime de coercition qu’elle n’acceptait pas mais qui lui procurait des garanties sur le plan social; elle connaissait les différences de niveau de vie qui existaient par rapport à l’Allemagne de l’Ouest. À partir des années 1970, les responsables de Berlin-Est développèrent de façon limitée les rapports avec la République fédérale, cela pour éviter l’implosion du régime. Ils ne pouvaient aller très loin par crainte de ne pas maîtriser des exigences grandissantes, notamment la liberté de voyager.Le régime communiste de la R.D.A. a été ébranlé par l’impact des réformes en Pologne, en Hongrie et en U.R.S.S., qui montraient à la population que le socialisme policier, peureux et sclérosé, ne constituait pas un ordre immuable. L’isolement d’Erich Honecker, l’homme fort depuis 1971, est devenu évident lorsque Mikhaïl Gorbatchev s’est ouvertement prononcé en faveur des réformes le 7 octobre 1989 à Berlin-Est, lors du quarantième anniversaire de la fondation de la R.D.A. (Honecker démissionnait onze jours plus tard). À la remise en cause venue de l’Est et à l’attrait grandissant de la République fédérale s’ajoutait la déstabilisation intérieure due aux réfugiés et aux manifestants. Par dizaines de milliers, les habitants de R.D.A. se sauvaient en Allemagne de l’Ouest en passant par les pays de l’Europe de l’Est. Sortis des églises, seuls endroits où la contestation pouvait s’exprimer librement, les manifestants réclamèrent à partir de l’automne de 1989 le droit à l’émigration, puis la réforme du régime; doutant de la volonté des communistes à conduire de tels changements, ils se prononcèrent pour l’unité allemande à partir de la fin de novembre. L’ouverture du Mur de Berlin réalisée le 9 novembre dans la panique et le début du dialogue avec l’opposition autour de la Table ronde ne constituaient pas des gages suffisants. Aux premières élections libres à la Chambre du peuple, le 18 mars 1994, les chrétiens démocrates de Lothar de Maizière l’emportèrent largement avec 40,82 p. 100 des voix, les communistes, qui se présentaient sous l’étiquette du nouveau parti du socialisme démocratique, n’arrivant qu’à 16,40 p. 100. La voie des négociations directes entre les deux États allemands était ouverte.Négociations interallemandesLes bouleversements intervenus en R.D.A. à la fin de l’année 1989 créaient une dynamique favorable à l’unité allemande. Dès le 28 novembre, le chancelier Helmut Kohl propose dans ses «dix points» une coopération étroite entre les deux États destinée à aboutir à une confédération, puis à une fédération allemande. Le chef du gouvernement à Berlin-Est, le communiste réformateur Hans Modrow, plaide pour une «communauté de traités». À la fin du mois de janvier 1990, il accepte, avec Mikhaïl Gorbatchev, le principe de l’unité allemande, mais dans la neutralité.Le 7 février, Helmut Kohl se prononce pour une union monétaire, économique et sociale; les négociations ne commencent véritablement qu’après l’installation du gouvernement de Maizière à la mi-avril. Tout va ensuite très vite. Le traité est signé le 18 mai et entre en vigueur le 1er juillet. La R.D.A. perd sa monnaie au profit du deutsche Mark, sa politique économique et sociale passe sous le contrôle de Bonn. Par décision politique du chancelier, les habitants de R.D.A. obtiennent un taux de change très favorable. La R.D.A. renonce officiellement au socialisme pour se convertir à l’«ordre libéral, démocratique, fédéral et social». Un fonds spécial de 115 milliards de deutsche Mark, financé par l’État fédéral, les Länder et l’emprunt, est créé pour faciliter l’intégration de la R.D.A. à la République fédérale. Une société fiduciaire est mise en place pour assainir et privatiser l’énorme secteur des entreprises publiques, vétustes, peu rentables et polluantes. Son œuvre sera achevée en 1994.Négocié en juillet et août, le traité sur l’unification étatique entre en vigueur le 3 octobre 1990. Le président de la République, Richard von Weizsäcker, exalte l’esprit de partage entre Allemands; le chancelier Kohl remercie les puissances étrangères d’avoir facilité le processus de l’unité, l’Europe et la paix étant les deux missions prioritaires du nouvel État. Supprimés en 1952, les cinq Länder de la R.D.A. (Brandebourg, Meklembourg-Poméranie-Occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt, Thuringe), reconstitués en juillet 1990, adhèrent à la Loi fondamentale (Constitution) de la République fédérale par le truchement de l’article 23 de celle-ci. La R.D.A. disparaît en se fondant dans un ensemble qui l’absorbe.Le traité affirme que Berlin est la capitale de l’Allemagne unie. «La question du siège du Parlement et du gouvernement sera résolue après l’établissement de l’unité allemande.» Le 20 juin 1991, les députés du Bundestag décident, à une courte majorité, de transférer le siège du Bundestag et du gouvernement à Berlin. Le 5 juillet 1991, les membres du Bundesrat se prononcent pour un maintien du Bundesrat à Bonn pendant quelques années. Le traité proclame le 3 octobre journée de l’unité allemande et fête légale. La Loi fondamentale s’applique désormais à la totalité de l’ancienne R.D.A. et à Berlin-Est. En raison de l’adhésion de la R.D.A., la Loi fondamentale devra subir des amendements ponctuels, indépendamment d’une plus ample révision des textes. La répartition des voix au Bundesrat est modifiée au profit des quatre Länder les plus peuplés, et de nouveaux rapports entre le Bund et les Länder peuvent être envisagés dans un délai de deux ans. Des dérogations au droit de la République fédérale sont autorisées sur le territoire de l’ancienne R.D.A. jusqu’au 31 décembre 1992 (la législation sur l’avortement est, par exemple, plus libérale à l’Est qu’à l’Ouest). Extrêmement détaillées, les annexes ne couvrent pas moins de mille pages afin de rétablir dans tous les secteurs de la vie publique une unité brisée en 1945. Le Bundestag et le gouvernement fédéral sont élargis à des représentants de l’ancienne R.D.A., dans l’attente des élections générales du 2 décembre 1990.Les négociations «2 + 4»Comme les quatre puissances victorieuses de 1945 conservaient des «droits et responsabilités» vis-à-vis de l’Allemagne dans son ensemble (Berlin, les frontières, la réunification et le traité de paix), l’unité allemande ne pouvait se réaliser sans leur accord. Le principe d’une négociation entre les deux États allemands et les Quatre, sur les aspects extérieurs de l’unité allemande, est décidé le 13 février 1990 à Ottawa. Outre des réunions d’experts et les nombreuses rencontres bilatérales et multilatérales entre chefs d’État et de gouvernement, les ministres des Affaires étrangères se réunissent le 5 mai à Bonn, le 22 juin à Berlin-Est, le 17 juillet à Paris (avec la participation du ministre polonais des Affaires étrangères) et le 12 septembre à Moscou pour la signature du traité. Les entretiens étaient surtout freinés par les Soviétiques qui ne voulaient pas accorder à l’Allemagne unie le droit de déterminer librement ses alliances. Cette réserve est levée lors d’une rencontre dans le Caucase entre Mikhaïl Gorbatchev et Helmut Kohl. L’Allemagne unie s’engage à apporter une aide substantielle à l’U.R.S.S. qui, de son côté, promet de retirer progressivement ses troupes d’Allemagne de l’Est jusqu’en 1994. Cet engagement sera respecté par la Russie.Par le traité du 12 septembre, appelé «Traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne», l’Allemagne unie reconnaît que son territoire comprend uniquement Berlin-Ouest et Berlin-Est et les deux anciens États allemands. La ligne Oder-Neisse devient la frontière définitive avec la Pologne – un traité germano-polonais devra la confirmer. La Constitution de l’Allemagne unie ne devra comporter aucune disposition incompatible avec ces principes. L’Allemagne unie s’engage à poursuivre une politique de paix, elle renonce aux armes ABC (armes atomiques, bactériologiques et chimiques) et réduira ses effectifs militaires à 370 000 hommes. Les Soviétiques retireront leurs troupes avant 1994; en attendant, les troupes occidentales auront le droit de rester à Berlin-Ouest, mais sans augmenter leurs effectifs. Aucune arme nucléaire, allemande ou étrangère, ne devra être déployée en Allemagne de l’Est. Grâce à ces précautions, l’Allemagne unie a le droit de choisir ses alliances, en l’occurrence l’Alliance atlantique. Les Quatre mettent fin à leurs droits et responsabilités relatifs à Berlin, et à l’Allemagne dans son ensemble: «L’Allemagne unie jouira, en conséquence, de la pleine souveraineté sur ses affaires intérieures et extérieures» (art. 7). Des traités complémentaires entre l’Allemagne, d’une part, la Pologne et l’U.R.S.S., d’autre part, confirmeront le caractère définitif de la ligne Oder-Neisse et préciseront les nombreux projets de coopération avec ces pays. La réunion de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.) à Paris, à la fin de novembre, replace le règlement du problème allemand dans le contexte plus large des relations Est-Ouest. Berlin et l’Allemagne, autrefois les symboles de la division de l’Europe, deviennent les facteurs du rapprochement entre les deux parties de l’Europe.Après les élections du Bundestag de l’Allemagne unie le 2 décembre 1990, Helmut Kohl est confirmé dans ses fonctions de chancelier à la tête d’un gouvernement C.D.U.-C.S.U. - F.D.P. Le passage à l’économie sociale de marché est douloureux pour la population en Allemagne de l’Est, et l’unité coûte très cher aux contribuables ouest-allemands. La république fédérale d’Allemagne conserve les mêmes institutions, mais un nouvel État de près de 80 millions d’habitants est né au cœur d’une Europe que traversent de profondes mutations. De 1990 à 1994, la majorité du gouvernement Kohl (C.D.U.-C.S.U. - F.D.P.) s’est réduite de 134 à 10 sièges, en raison des difficultés auxquelles s’est heurté le nouvel État. Mais, au cours du premier semestre de 1995, la situation du chancelier se rétablit, comme le montrent les résultats des élections locales.
Encyclopédie Universelle. 2012.